Début août 1914, à l’heure de la mobilisation générale, Paris est vide de ses hommes. Après le départ de son mari (Henry de Jouvenel), appelé à rejoindre son régiment d’infanterie à Verdun, Colette a rejoint la capitale, et le vieux chalet en bois qu’elle occupe rue Cortambert. Détestant la solitude, elle a invité trois amies proches à en partager le quotidien.
Il règne dans le petit chalet de Passy une atmosphère de pensionnat ou de maison close. Les filles y sont entre elles, du matin au soir. […] Pas de discipline, pas d’horaires. Aucune obligation d’aucune sorte. La maîtresse de maison, loin d’être une mère supérieure ou d’exercer une quelconque tutelle, donne l’exemple en appliquant strictement sa devise : je fais ce qu’il me plaît, quand il me plaît. […] Et s’il n’y avait la guerre, qui noue les coeurs, elles seraient parfaitement insouciantes […].
Trois des quatre amies ont plus ou moins le même âge : le début de la quarantaine. Toutes appartiennent au monde de la littérature et du spectacle.
Il y a Annie de Pène, journaliste et auteure comme Colette. Peu connue à l’heure actuelle, elle a été une des premières femmes reporters de guerre.
Marguerite Moreno est une actrice de théâtre et de cinéma.
La dernière et la plus jeune, Musidora, a connu la célébrité durant la guerre pour ses rôles dans les séries « Vampire » et « Judex » de Louis Feuillade.
A une époque où leurs concitoyennes n’ont ni le droit de vote ni celui de signer un chèque, et en sont à demander la permission à leur homme – père, époux, frère, fils ou tuteur – pour tous les actes de la vie, comme elles paraissent libres de leur destin, ces quatre femmes ! Et si sûres de la voie à suivre ! Ce ne sont pas des féministes. Colette exprime son exaspération, partagée par de nombreuses contemporaines, devant le désir si peu féminin, selon elle, d’égaler ou d’imiter les hommes pour mieux prendre un pouvoir que leurs mères ont exercé dans l’ombre, avec maestria. […]
Les quatre amies tiennent moins au fond à obtenir l’égalité de leurs droits, par rapport au sexe fort, qu’à s’affranchir des conventions, des codes, et à se voir accorder un libre arbitre. Nul ne saurait brider leur instinct souverain : être soi, par soi-même, voilà ce qu’elles revendiquent.
Une biographie en quatre parties (La solitude sans les hommes – Interlude lesbien – La solitude avec les hommes – Le printemps des corps) qui – malgré quelques répétitions et digressions – se lit comme un roman et nous éclaire sur cette ambiance particulière de la vie en France pendant – et juste après – la première guerre mondiale.
Colette et les siennes, Dominique Bona, Librairie générale française, 2017, (Le livre de poche, 34898), ISBN 978-2-253-09152-3
Lu dans le cadre du « Prix des Lecteurs du Livre de poche 2018 / Documents-Essais ».