Manuel de survie à l’usage des incapables / Thomas Gunzig

Résumer en quelques mots ce roman est assez simple : Jean-Jean, agent de sécurité dans une grande surface, devient la cible de Blanc, Gris, Brun et Noir, quatre loups sans foi ni loi, après avoir tué accidentellement leur mère, Martine Laverdure, lors de l’entretien de licenciement de celle-ci (officiellement parce qu’elle entretient une relation avec Jacques Chirac Oussoumo, le responsable fruits et légumes du magasin – ce qui est strictement interdit par le règlement – officieusement parce qu’elle scanne les articles un peu trop lentement à la caisse).

Parler de sa lecture est plus complexe tant le roman est dense, riche et inclassable : critique sociale acide, empruntant des codes au polar, à la science-fiction, au roman d’aventure et même au roman sentimental, tout en distillant de petites touches de philosophie, de sciences, de management, le tout enrobé de surréalisme porté par un humour que l’on jugera cynique… ou jubilatoire.

Jean-Jean essaya d’imaginer le monde d’avant, celui où les génomes n’avaient pas encore été privatisés. Celui où les femmes elles-mêmes ne portaient encore aucune modification et où leur reproduction, à l’image du blé, du maïs ou du colza d’antan, était libre de droits. Cela devait certainement représenter certains avantages, un sentiment de liberté (peut-être), la gratuité de la reproduction dans un univers où la stérilité n’avait pas encore été imposée par les législations de la propriété intellectuelle. D’un autre côté, ça devait aussi être un peu le bordel : des hectolitres d’insecticides et de défoliants déversés sur des plantes non modifiées, des femmes sujettes à toutes sortes de maladies… Enfin, c’est ce qu’on lui avait dit.
Finalement, il ne savait pas trop et à vrai dire il s’en fichait. Au Moyen Âge, les gens réfléchissaient assez peu à l’Antiquité. A la Renaissance, on se fichait du Moyen Âge, tout le monde avait toujours fait avec ce que proposait le présent en pensant parfois à l’avenir, rarement au passé.
Evidemment, l’inconvénient, c’était quand l’un ou l’autre essayait de contourner le copyright, comme Martine Laverdure l’avait fait, et que venaient au monde des trucs aussi bizarres que ces quatre jeunes loups qui avaient bouleversé sa vie.

Thomas Gunzig, Manuel de survie à l’usage des incapables, Gallimard, (Folio 5915), 2016

Lu dans le cadre du challenge #deslivresbelgesdansvotrevalise #DLBDVV

Summer / Monica Sabolo

On a perdu Summer, avait dit Coco, la voix tendue. On l’a cherchée partout, on ne la trouve pas.
Alexia, les mains de chaque côté de sa bouche, criait « Su-mmer », d’une voix traînante, à intervalles réguliers, tandis que Jill demeurait amorphe, ses bras entourant ses épaules comme si elle grelottait.

Elles avaient ensuite couru, dans tous les sens, disparaissant derrière les arbres, puis réapparaissant furtivement, et tandis que le vent portait vers moi leurs voix aiguës, aux accents de plus en plus désespérés, appelant ma soeur, j’étais resté là, absent à la scène, et à la vie, tandis que montait en moi la certitude que c’était arrivé, ce moment que j’attendais depuis toujours, l’effondrement de cet édifice de papier que constituaient nos existences.

25 ans après la disparition de sa soeur lors d’un pique-nique au bord du lac Léman, Benjamin est plongé dans une dépression profonde, ne vivant plus qu’au rythme des souvenirs et des cauchemars qui le hantent.
Peu à peu, il reconstitue le puzzle de son passé, son enfance dans cette famille de la haute bourgeoisie genevoise à la réussite flamboyante. Un père brillant avocat, maître incontesté du Barreau, une mère magnifique, une vie de fêtes et de soirées mondaines, du beau monde, de l’alcool à profusion. Et tant de non-dits…

Un roman à l’atmosphère étrange, à la fois poétique et dérangeante, dont l’écriture colle parfaitement aux sujets : les rapports entre les membres d’une famille, les secrets et les mensonges qui en découlent, le manque face à l’absence.

Publié en 2017, Summer est le troisième roman de l’autrice Monica Sabolo.

Summer, Monica Sabolo, Lgf, 2019 (Le livre de poche, 35215)